Promesses du Digital Learning : si nous revenions à un peu plus de réalisme

Anne-Marie Husson
Malgré une promotion insistante et plusieurs plans gouvernementaux pilotés par les ex-OPCA, le digital learning peine à s’implanter dans les organismes de formation de taille plus modeste et la plupart des formateurs indépendants y résiste. Pourquoi ces réticences ? Qu’est-ce qui ne s’aligne pas entre les promesses avancées et la réalité du terrain ? Vers quel discours faudrait-il évoluer afin de rassurer les réfractaires à envisager d’une façon plus sereine ces nouvelles modalités de formation ? C’est ce que nous allons essayer de traiter succinctement dans cet article en commençant par pointer les dérives mensongères du discours promotionnel ambiant et dans un second temps, en proposant des éléments de langage plus conformes à la réalité du terrain.
Un discours promotionnel à la limite de l’incantation
En tant que consultante et formatrice dans le monde du digital Learning depuis près de 20 ans, j’y ai vu passer bien des promesses d’eldorado et surtout beaucoup d’injonctions paradoxales. Tous les deux ou trois ans étaient mises en avant des « innovations » censées révolutionner le marché de la formation : la FOAD, les LMS, LCMS (ces merveilleux logiciels qui promettent de pouvoir apprendre tout seul sans aucune intervention humaine !) le rapid learning, le microlearning, les MOOC, le digital learning, le blended learning, les serious games, et plus récemment l’adaptive learning et la neuropédagogie … Et malgré toutes ces promesses révolutionnaires, le digital learning (puisque c’est désormais le terme consacré) peine à se généraliser : seules les grandes entreprises ou les gros organismes de formation réussissent vraiment à le mettre en place d’une façon significative et pérenne, c’est-à-dire efficace au niveau pédagogique et rentable au niveau financier (Cf. 4ème Baromètre de la gestion de la formation et des Talents en téléchargement ici)
Alors que la digitalisation inonde tous les services publics (impôts, banques …) et la plupart des activités de commerce ou de service, elle a du mal à s’affirmer dans la formation, chez tous ces petits organismes de formation ou ces formateurs indépendants payés à la prestation qui constituent le tissu profond du secteur de la formation. Quelles sont les dominantes de ce discours qui se heurtent à la réalité des contextes ?
« Plus rapide ! Moins cher ! »
Si vous déambulez pour la première fois dans un salon dédié au digital learning, vous serez captivé par l’inventivité et la diversité des solutions proposées. Les promesses avancées par les différents acteurs de ce secteur sont irrésistibles ! Grâce à eux, vous entrez dans un monde fascinant où tout devient possible, rapide, magnifique et surtout pas cher et efficace ! Plus besoin de face à face fastidieux, de programmes calibrés pour un apprenant « moyen » : l’apprenant apprend tout seul, plus vite, mieux, ce qu’il veut, quand il veut et surtout avec des coûts cassés de prise en charge individuelle par heure de formation.
Tout est présenté comme plus rapide (par ex : une journée de présentiel sera vendue comme équivalente à 3h de formation en ligne) et aussi moins cher car une fois le contenu préparé, plus besoin de salles, de formateurs, de corrections … la machine s’en charge, surtout si elle devient « intelligente », capable de s’adapter à votre profil et à vos besoins d’apprentissage !
Mais la réalité est tenace
Dans un tel discours, il y a beaucoup de promesses exagérées et aussi de réalités cachées qui amènent au mieux de la réticence ou pire de graves déconvenues : des budgets qui explosent, des apprenants qui désertent, des formateurs angoissés sur leur devenir professionnel et qui résistent de toutes leurs forces au changement et des organismes de formation qui peinent à maintenir leur attractivité sur le marché alors que tous les appels d’offres se digitalisent…
Et si nous tenions un discours promotionnel plus proche de la réalité ?
La transformation digitale des processus de formation n’est en effet pas quelque chose de « magique » ! Il ne suffit pas de posséder un logiciel de création de contenus et de les mettre en ligne sur un LMS pour que tout devienne facile ! C’est même le meilleur moyen de créer beaucoup de désillusion et donc le plus sûr chemin pour prévenir durablement ces acteurs à l’adoption du digital learning. Si nous voulons favoriser le déploiement du digital learning auprès de tous, il est essentiel de leur parler un langage de vérité !
Seul ce langage de vérité peut les préparer à ce qu’ils vont avoir à vivre durant le processus : les investissements à consentir, les longs travaux préparatoires de scénarisation et de production, les changements de posture professionnelle, les compétences nouvelles à acquérir … Notre objectif : les aider à prendre des décisions stratégiques en toute objectivité.
Voici les 3 points que je souligne régulièrement lorsque je présente les avantages du passage au digital learning :
1. Digitaliser une offre de formation n’est pas une opération technologique mais stratégique et pédagogique qui va entraîner l’ensemble de l’organisme de formation dans un cercle vertueux d’amélioration. Lorsqu’un organisme de formation se pose la question de la digitalisation, sa première question ne devrait pas être : quel LMS, quels logiciels de création de contenus ? Mais plutôt : A quels besoins réels, ce nouveau service va-t-il répondre ? Quelle plus-value pédagogique, quel service amélioré puis-je proposer ?
Digitaliser une offre de formation impacte en profondeur les fonctionnements internes de l’organisation et la répartition des tâches de chacun… De nouvelles tâches vont émerger, du travail d’équipe et de nouveaux processus devront se mettre en place. C’est pourquoi la digitalisation de la formation ne peut être envisagée que comme un projet d’organisation, dans une politique de conduite du changement maîtrisée où tout le monde devra accepter d’être impacté dans son activité. Nous passons d’un modèle de production de cours orienté autour du formateur, à un modèle de développement des compétences orienté autour de l’apprenant et relié au travail.
2. La formation digitale est à concevoir comme un « dispositif pédagogique » multimodal et sur mesure qui capte le meilleur de chaque situation où se trouve l’apprenant. Très souvent le digital learning est perçu comme la simple consommation de contenus de formation digitaux en ligne, si possible avec le minimum d’accompagnement ou de contrôle. Cette conception utilitariste a démontré depuis longtemps ses limites ! Les apprenants n’apprennent pas plus vite et ne sont pas plus intelligents ou plus motivés parce qu’ils sont mis en ligne !
Un vrai parcours de formation digitale efficace est d’abord et avant tout un parcours de formation. Ce parcours, multimodal, va permettre d’accompagner l’apprenant dans toutes ses situations de vie au travail : seul ou avec ses collègues, dans l’atelier ou dans son bureau. Ce parcours devra comporter des temps d’apprentissage formel comme dans la formation traditionnelle mais aussi des échanges entre pairs, des temps d’entrainement sur des activités réelles, des demandes de production et des étapes d’évaluation. Le digital learning est le dispositif par excellence pour développer les compétences métiers en situation de travail attendues par la réforme de la formation professionnelle. En effet, seul le digital Learning est capable d’offrir cette diversité de situations et d’enchainements pédagogiques nécessaires à l’atteinte des objectifs élevés demandés par notre nouvelle réglementation de la formation. Le digital learning permet une créativité presque sans limite et une souplesse qui permettent de s’adapter aux besoins de chaque contexte. Grâce à lui, chaque organisme de formation pourra faire du sur-mesure de qualité en contrôlant ses coûts.
3. Envisager la formation digitale comme un investissement à consentir pour garantir la compétitivité de l’organisme de formation sur le long terme
Adopter le digital learning implique de changer de modèle économique. La formation traditionnelle fonctionne selon un schéma de proportionnalité où il y a très peu de mises de fond au démarrage et des frais qui croissent pour la location des salles ou la production de supports au ratio du nombre d’apprenants. Il n’en est plus de même dans la formation digitale qui demande de remettre à plat tous les processus de fonctionnement préalables mais surtout de consentir à des investissements financiers conséquents en termes de logiciels ou de travaux de conception préalables. C’est pourquoi le digital learning ne peut pas fonctionner sans un business model éprouvé, sans passage par des POC (proofs of concept), sans calcul de point mort et de seuil de rentabilité et surtout sans recherche de qualité. Mais en se professionnalisant ainsi, c’est la compétitivité même de l’organisme de formation qui sera éprouvée et donc pérennisée.
En conclusion
La digitalisation de la formation est une formidable opportunité de développement pour les OF qui s’en emparent et d’amélioration continue de la qualité des services offerts aux apprenants. Mais elle passe par une transformation en profondeur des processus, des postures et des modèles financiers. Les organismes de formation se doivent d’en être informés en toute objectivité et transparence pour être en mesure de l’adopter en pleine conscience et sans déconvenue.
Article écrit par Anne-Marie Husson, ingenieur stratégie digital learning at Spi & Co
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